LES PREMIERS VOLS DE GEMINI DE 1965 A 1966

Pour le premier vol du programme Gemini, Deke Slayton, Chef du Bureau des astronautes, avait tout naturellement songé à confier les commandes à Alan Shepard, le premier Américain à avoir été dans l’espace, auquel il adjoignit un membre du second groupe d’astronautes sélectionnés, Tom Stafford. Slayton fit un panachage similaire pour l’équipage de réserve en associant à Gus Grissom, le nouveau-venu, John Young.

Mais la préparation avait déjà commencé depuis six semaines lorsque Shepard se plaignit de vertiges et de nausées. Les médecins consultés diagnostiquèrent le syndrome de Ménière (une tension artérielle trop élevée dans l’oreille interne) et Shepard fut interdit de vol. Il fallut donc se résoudre au remplacement de l’équipage par sa doublure. Fort heureusement, Gus Grissom connaissait parfaitement la capsule Gemini : il avait en effet été chargé du suivi de la conception et de l’application des recommandations formulées par les astronautes.

23 mars 1965
Gemini 3
Virgil Grissom / John Young

Après une année de préparation, Virgil "Gus" Grissom et John Young étrennèrent la capsule Gemini pendant un vol de qualification de trois orbites. Baptisé Molly Brown (du nom d’une des rescapés du Titanic qui, à l’âge de six ans, avait déjà survecu à une grave inondation), en un clin d’oeil au naufrage de Liberty Bell 7 à l’issue de la deuxième mission suborbitale Mercury, Gemini-3 fut la seule capsule Gemini à recevoir un surnom. Les missions suivantes ne reçurent qu’un numéro d’ordre, figuré en chiffres romains.

La mission avait principalement pour but de réaliser un contrôle complet des capacités de la nouvelle capsule Gemini. Au cours du vol, les astronautes utilisèrent les propulseurs de manoeuvre pour modifier l’excentricité de leur orbite et diminuer leur altitude. Le comportement aérodynamique du vaisseau ne correspondant pas aux mesures effectuées en soufflerie, l’amerrissage dépassa de plus de 80 kilomètres le point visé et le passage de la capsule en position d’amerrissage fut si violent que, sous le choc, la visière du casque de Gus Grissom fut brisée.

Young, lieutenant de marine âgé de 34 ans fut émerveillé par son premier séjour dans l’espace. Grissom n’eut aucun ennui, sinon le mal de mer à l'issue de l'amerrissage et aussi les reproches qui lui furent adressés, en tant que commandant de la mission, pour la présence d'un sandwich à bord de Gemini 3.

" Gemini était très petit et compact. Pendant un certain temps, nous l’avons surnommée la "Gusmobile", car Gus était réellement le seul type capable d’y pénétrer et de refermer la trappe sans se cogner. C’était minuscule. On aurait dit que nous étions assis dans une cabine téléphonique, tellement s’était étroit. C’était un engin spatial fait pour les pilotes. Chaque commande de contrôle se situait à portée de main. Tout était parfaitement étudié pour le travail que nous devions y effectuer et qui pouvait se résumer à : monter, entrer et rendez-vous !

" Une nuit, nous nous trouvions au-dessus de l’océan Pacifique. Les senseurs que nous utilisions pour régler notre assiette ne fonctionnaient pas bien et l’alignement par rapport à l’horizon était loin d’être parfait. Bien sûr, Gus se montra plutôt inquiet à ce sujet, car nous savions très bien que si l’assiette n’était pas correcte au moment de l’allumage des rétro-fusées, nous nous retrouverions peut-être dans la mauvaise direction. Ce qui voulait dire que nous resterions là-haut un bon bout de temps...

" Je savais fort bien que, sans la lumière du jour, il nous serait impossible de réussir notre alignement. Il n’y avait donc pas lieu de se faire de soucis jusqu’au lever du jour orbital. Je tendis à Gus un sandwich au corned-beef et lui déclarais : "Tiens, mange-ça pendant que tu réfléchis à la meilleure manière de nous aligner". Et il me répondit que j’allais avoir pas mal d’ennuis à cause du manque de moutarde. Il avait raison..."

L'affaire du sandwich prit des porportions insoupçonnées par ses initiateurs. Il s'agissait au départ de faire une blague à "Gus" Grissom, grand consommateur de sandwich au corned-beef. Ses collègues astronautres entreprirent de sélectionner quelques-uns de ces sandwich afin de les soumettre à des tests d'aptitude au vol spatial... Ils furent ainsi lâchés depuis le sommet d'une échelle. Celui qui résista le mieux au choc de l'atterrissage fût retenu et confié à John Young pour la mission Gemini III. Mais les médecins du programme n'apprécièrent guère la plaisanterie. Le protocole médical de la mission avait été ruiné et l'affaire valut à la NASA des remarques acerbes de parlementaires sur sa capacité à contrôler le comportement des astronautes. John Young reçut donc une réprimande officielle, la première du genre, ce qui, manifestement, ne fut pas un obstacle dans sa carrière d'astronaute.

3-7 juin 1965
Gemini 4
James McDivitt / Edward White

Avec la deuxième mission, le programme entrait de plein pied dans l'apprentissage. Le plan de vol prévoyait de voler en formation avec le deuxième étage de la fusée Titan, mais la dynamique des manoeuvres vers un autre objet en orbite s’avéra bien différente de ce qu’avaient prévu les ingénieurs. Lorsque les astronautes tentèrent de rejoindre la cible, leur vaisseau s’éloigna de plus en plus et ils durent renoncer après avoir consommé plus de la moitié de leur carburant. Ils découvrirent ainsi que pour rattrapper un objet situé devant, il fallait diminuer l’altitude de l’orbite puis remonter après l’avoir dépassé, plutôt que d’accélérer, car en accélérant, le vaisseau se place sur une orbite plus élevée et par conséquent plus lente.

Le clou de la mission fut la sortie extra-véhiculaire de 22 minutes effectuée par Ed White. Gemini IV fournit alors un spectacle sans précédent. Tandis que le vaisseau effectuait sa troisième révolution autour de la terre, White sangla sur sa poitrine un dispositif d’oxygène de secours. Il fixa une visière teintée d’or sur son casque pour se protéger du soleil. Il portait une combinaison spatiale composée de 21 couches de matériaux protecteurs destinés à l’isoler des températures extrêmes ( de - 120°C à + 100°C) et des radiations. Au-dessus du Pacifique, White ouvrit son écoutilla et sortit, s’éloignant doucement dans l’espace au bout d’un "cordon ombilical" de 8 mètres de long. Armé d’un pistolet à oxygène sous pression, il se propulsa jusqu’à la limite du cable.

Autour de lui, l’immensité froide et sombre de l’espace ôtait toute notion de distance, exception faite des étoiles, du soleil et de la Lune. White se transforma ainsi en satellite humain. Protégé dans sa combinaison spatiale, il évolua autour du vaisseau Gemini, fonçant à 28 000 km/h sans même s’en rendre compte, tout juste relié par un "cordon ombilical" lui assurant oxygène et liaison radio. White utilisa son "pistolet-propulseur" pour s’orienter et se déplacer autour de la cabine, dans un environnement où seules les lois du mouvement commandent, toute action appelant une réaction opposée et immédiate. McDivitt avait ses propres soucis : "Quand Ed sort de la cabine et commence à se déplacer, le vaisseau est plus difficile à maîtriser", nota-t-il à l’intention des contrôleurs de mission à Houston.

Le temps s’écoula rapidement. Grissom, relais de communication au Contrôle de Mission, entra plusieurs fois en contact avec l’équipage pour conseiller à White de rentrer dans la cabine. Mais White se plaisait tellement à l’extérieur qu’il fit la sourde oreille ! Grissom transmit à McDivitt : "Le directeur de vol ordonne à White de rentrer ! " Certains risques ne pouvaient être courus. Mike Collins, autre "marcheur" de l’espace au cours de la mission Gemini XII, explique :

" Si quelqu’un, lors d’une sortie dans l’espace hors de la capsule, venait à perdre connaissance ou avait des problèmes graves, on n’avait pas le choix. Il fallait le détacher, refermer la trappe, l’abandonner et rentrer sur terre. Car il n’y avait vraiment aucun moyen de ramener à bord un objet aussi important qu’une combinaison pressurisée avec un corps immobile à l’intérieur. L’espace de Gemini était bien trop étroit. C’était déjà suffisamment difficile quand le type à l’intérieur opérait à 100 % de ses possibilités. Il avait déjà un mal fou à reprendre sa place à l’intérieur de la capsule, avec tout juste l’espace nécessaire pour refermer la trappe au-dessus de sa tête".

Finalement, White se décida à prendre le chemin du retour mais, en revenant vers l’écoutille, White se rendit compte que manoeuvrer le long d’un vaisseau spatial était plus facile à dire qu’à faire. Faute de prises pour les mains ou pour les pieds, White trouva le retour lent et difficile. Il lui fallut plusieurs minutes laborieuses pour réussir à pénétrer dans la cabine. McDivitt l’aida alors à descendre et à reprendre place sur son siège. Lorsqu’il eût repris place sur son siège, White se tourna vers McDivitt et dit : "C’est le moment le plus triste de mon existence ! " En fin de compte, White ne fut pas enregistré comme "satellite" dans les annales de l’astronautique. Il n’était pas resté suffisamment longtemps à l’extérieur du vaisseau pour "flotter" le temps d’une orbite. Au retour, les équipes médicales confirmèrent la bonne santé de l’équipage.

" Tout c’est passé nettement mieux que tout ce que nous pouvions espérer (...) On nous disait qu’un astronaute perdrait conscience après quatre jours passés en apesanteur. Cela ne s’est pas produit. On nous disait qu’il serait pris de vertiges et perdrait le sens de l’orientation une fois sorti du vaisseau spatial. Nous avons prouvé que c’était faux. "

Après cette sortie dans l’espace, plusieurs experts du programme Gemini estimèrent que certaines erreurs de jugement avaient été commises à bord du vaisseau spatial. Lorsqu’ils avaient eu du mal à ouvrir l’écoutille, White et McDivitt auraient dû se douter qu’il serait difficile de la refermer. Tout homme prudent aurait alors renoncé à ses ébats dans l’espace plutôt que de risquer de ne pouvoir rentrer sur terre sain et sauf. Ces experts estimaient également que White était resté trop longtemps à l’extérieur et ils critiquèrent la mauvaise volonté évidente avec laquelle il avait regagné le vaisseau. Cependant, les responsables de la NASA se refusèrent à porté le moindre jugement sur le comportement des pilotes.

21-29 août 1965
Gemini 5
Gordon Cooper / Charles Conrad

En août 1965, les deux astronautes Gordon Cooper et Charles Conrad foncèrent à bord de Gemini V, pendant huit jours, effectuant l’un des vols les plus périlleux de toute l’histoire de l’astronautique. Afin que le vol puisse être dûment enregistré, un des responsables des archives Internationales plaça deux billets de un dollar à bord du vaisseau avant le lancement et il attendit ensuite dans l’océan Atlantique, sur le navire de récupération, pour récupérer les billets à l’amerrissage. Sa mission consistait à comparer les numéros de série de ces billets. Cette étrange procédure faisait partie des règlements internationaux pour l’homologation des records. John Glenn avait ainsi emporté son permis de conduire à bord de la capsule Friendship-7, et Alan Shepard, un billet de la Banque Fédérale.

Le vol de Gemini 5 battit tous les records de l’époque, avec 190 heures 56 minutes passées dans l’espace, 120 révolutions accomplies et un total de séjour dans l’espace de 225 heures et 15 minutes pour Gordon Cooper, premier astronaute à effectuer deux vols orbitaux. La durée du vol de Gemini V fut rendue possible par l’utilisation de piles à combustible. Celles-ci se révélèrent quelque peu problématiques au début et leur mauvais fonctionnement empêchèrent de réaliser un rendez-vous avec une plate-forme larguée par le vaisseau, ainsi que plusieurs autres expériences.

En dépit des nombreux problèmes rencontrés avec l’alimentation en carburant, les sytèmes de commande et l’éjection de gaz qui faisaient osciller le vaisseau, les astronautes ne perdirent jamais leur sang-froid. Ils travaillèrent avec tant d’ardeur lors des premières révolutions qu’ils en perdirent le sommeil. Par contre, les dernières orbites leur permirent de flâner un peu. Les astronautes se retrouvèrent ainsi avec tant de temps libre que Conrad se plaignit de ne pas avoir amener un livre avec lui... Il ne leur restait rien à faire sinon dormir et écouter de la musique. Ils s’entretinrent brièvement avec l’ancien astronaute Scott Carpenter, devenu "aquanaute", qui se trouvait alors dans son laboratoire océanographique, à 750 m de profondeur au large de la Californie.

" Ma meilleure description de Gemini V est "huit jours dans une boîte à ordures". Aussi étions-nous obligés de garder les mêmes sous-vêtements et à l’intérieur de ces combinaisons pressurisées pendant tout ce temps... On enlevait nos casques et nos gants, mais il nous fallait continuer à vivre dans ces encombrantes combinaisons et cela devint assez douloureux. Par ailleurs, comme nous ne faisions rien, notre corps ne dépensait même pas l’énergie pour une gravité de 1 G. Houston, suivant l’horaire terrestre, nous annonçait : "Eh bien, bonne nuit les gars ! On se revoit dans huit heures... " On coupait les communications et on se retrouvait ainsi assis, sans dormir. Gordon et moi avions passé une année à nous entraîner ensemble. Aussi connaissions-nous assez bien notre répertoire mutuel d’histoires. Il n’y avait donc pas beaucoup de conversations pour nous et c’est probablement la chose la plus longue que j’ai dû faire dans ma vie. Car, littéralement, nous n’avions rien à faire pendant des heures et des heures d’affilée... "

Une fois de plus les astronautes avaient prouvé qu’il était possible de remédier à de graves problèmes en cours de vol : six vols habités sur neuf s’étaient traduits par des ennuis. En trois occasions, les astronautes n’avaient dû leur salut qu’à un courage incroyable. Ceci fut particulièrement vrai de la mission Gemini V. Le directeur de vol, Chris Kraft en convint : "Si l’engin avait été inhabité, nous ne l’aurions jamais récupéré". Enfin, les tests médicaux, réalisés pendant et après la mission, furent très positifs, montrant que les vols de longue durée étaient possible, et cela était essentiel dans le cadre du programme de missions lunaires Apollo.

A la fin de l’année, les Etats-Unis devaient lancer Gemini VI, pour une mission destinée à poursuivre et à rejoindre une fusée mise préalablement sur orbite. Il s’agissait en fait d’une expérience qui n’avait pu être réalisée à cause des ennuis rencontrés par Gemini V. Hélas, la tentative se solda par un nouvel échec, la fusée-cible Agena se désintégrant six minutes après son lancement.

Les ingénieurs commençaient à s’arracher les cheveux. Il fallait absolument trouver une autre cible pour tester le radar d’approche et les ordinateurs de bord. Ils décidèrent finalement une modification du plan de vol qui allait produire un des spectacles les plus sensationnels du programme Gemini. Gemini VII, avec à son bord Frank Borman et James Lovell, devait effectuer en décembre un vol marathon de 14 jours en orbite. Pourquoi ne pas alors utiliser Gemini VII comme cible pour Gemini VI ? Il n’y avait qu’un seul problème : les deux engins devaient utiliser la même aire de lancement. Les dégâts inévitables causés par le lancement de Gemini VII pourraient-ils être réparés à temps pour procéder au lancement de Gemini VI ? En principe les équipes avaient besoin de deux mois pour effectuer les réparations ; cette fois-ci, elles y parvinrent en huit jours !

4-18 décembre 1965
Gemini 7
Frank Borman / James Lovell

15-16 décembre 1965
Gemini 6
Walter Schirra / Thomas Stafford

Gemini VII fut mis sur orbite sans ennuis. Borman et Lovell passèrent leurs premiers jours à prendre des clichés, à régler leur trajectoire au moyen des propulseurs de manoeuvre et à écouter de la musique.

Entre-temps, au sol, les équipes de Gemini VI répétait les manoeuvres qui lui permettraient de prendre Gemini VII en chasse. Schirra et Stafford effectuèrent une serie interminable de simulations, améliorant sans cesse leur "timing" et leurs calculs. Les préparatifs étant terminés plus tôt que prévu, Gemini VI reçut le feu vert et Gemini VII reçut l’ordre de modifier son orbite ovoïde en orbite circulaire afin de se préparer au vol couplé. Borman répondit non sans humour : "Nous essayons de faire de notre mieux pour respecter le programme... " Gemini VII survolait Cap Kennedy lorsque le compte à rebours de Gemini VI atteignit son terme. Les moteurs de la fusée furent mise à feu, mais après quatre secondes il s’éteignirent brusquement. Au somment de la fusée Titan, Schirra et Stafford était impuissants.

" Je savais exactement exactement ce qui venait de se passer, raconta Schirra par la suite. Les moteurs avaient stoppé et nous n’avions pas décollé. En fait, tous les signaux électroniques, ainsi que l’horloge de bord, avaient démarré. C’est l’expression habituelle depuis Shepard. On entend toujours quelqu’un déclarer : "L’horloge a démarré ! On a décollé ! " L’horloge avait bien démarré, mais il n’y avait pas eu de décollage... "

Un capteur de pression hydraulique avait capté une pression anormale et le système de contrôle avait automatiquement coupé les moteurs avant que le lanceur n’ait quitté son aire de lancement. La mission fut sauvée grâce au sang-froid de Schirra. Celui-ci aurait pu actionner les sièges éjectables, mais il décida au contraire d’attendre le diagnostic des experts. Heureusement, la panne était mineure ; les astronautes furent débarqués et le vol remis à un autre jour pour effectuer son rendez-vous avec Gemini VII. En actionnant le système de sauvetage, Schirra aurait anéanti toute chance de vol couplé.

Les spécialistes recalculèrent rapidement le plan de lancement, ordonnèrent à Gemini VI de dériver pour économiser le carburant et reprirent un nouveau compte à rebours pour Gemini VI. Trois jours plus tard, les moteurs du Titan furent de nouveau mis à feu et Gemini VI fut enfin enfin propulsé à la poursuite de sa cible. Gemini VII accomplissait paisiblement ses derniers jours de vol et Gemini VI effectua toutes les manoeuvres. A bord de Gemini VII, Lovell informa : "Nous n’avons pas vu le décollage... mais nous avons aperçu le vaisseau qui traversait les nuages."

Ayant mis le cap sur la constellation d’Orion et suivant les signaux de leur radar de bord, Schirra et Stafford localisèrent et rejoignirent leur cible moins de quatres heures plus tard, pour le premier rendez-vous de l’histoire spatial. Stafford (Gemini VI) annonça : "Nous sommes à 36 mètres... " Lovell (Gemini VII) répondit : "C’est merveilleux, vraiment magnifique ! " Les deux vaisseaux poursuivirent leur approche et les astronautes purent se faire signe à travers les hublots, à moins de trois mètres de distance. "Nous avons du monde", annonça Lovell en regardant Schirra manoeuvrer sur les tout derniers mètres. "Il y a beaucoup de trafic là-haut", répondit Schirra. "Faut appeler un agent", suggéra Borman.

Schirra utilisa alors les informations de son ordinateur de bord (ainsi qu’une dose de "pilotage aux fesses") pour finaliser le rendez-vous avec Gemini VII, au cours de l’après-midi du 15 décembre. Pendant cinqu heures, les deux vaisseaux Gemini volèrent en formation, se dépassant à tour de rôle, et tournant l’un autour de l’autre en lentes pirouettes. Schirra annonça qu’il s’était approché à une distance de quinze à vingt centimètres entre les deux vaisseaux, qu’il s’était éloigné, avant de revenir tout près. Gemini VII ayant évacué de l’eau par un de ses orifices, Schirra nota : "Vous avez une véritable boule de glace derrière vous." Il signala également que des fils trainaient derrière Gemini VII, ce qui expliquait les bruits étranges perçus au début du vol par Borman et Lovell. Puis, à leur grand regret, les équipages durent se séparer, Borman et Lovell poursuivant seuls leur long séjour. Gemini VI amerrit le 16 décembre après avoir passé un peu plus de 26 heures dans l’espace, suivi dans la matinée du 18 décembre par les pilotes de Gemini VII.

" Les trois derniers jours sur Gemini VII ont été les plus durs. Ayant utilisé la majeure partie de notre carburant, nous ne faisions plus que culbuter à travers l’espace, jusqu’à ce que nous stabilisions à nouveau l’engin, avant d’attendre d’avoir à le faire à nouveau. On ne pouvait pas faire d’expériences. Nous étions devenus léthargiques au point que la lecture était une corvée. Nous ne fîmes que survivre pendant trois jours. Cela venait après onze jours passés dans un espace très, très réduit. Ce furent trois dures journées.

Les médecins, à tort ou à raison, exagérèrent tous les divers problèmes sur toute la ligne. Ils s’inquiétaient quant au sang qui s’accumulait dans nos jambes. On nous avait dit que nous allions fort probablement nous évanouir à notre retour, dès que l’engin se serait redressé. Je me rappelle avoir regarder Jim en lui disant : "Eh bien, maintenant, ne sommes-nous pas supposés nous évanouir ? Tu le fais ou pas ? "

16 mars 1966
Gemini 8
Neil Armstrong / Dave Scott

Le lancement de Gemini VIII fut programmé au mois de mars 1966. Son pilote, Neil Armstrong, 35 ans, avait effectué 78 missions lors de la guerre de Corée. Diplômé de Purdue, il était devenu pilote d’essai, pilotant le fameux X-15. Armstrong était le premier civil à manier les commandes d’un vaisseau spatial. Son co-pilote était le lieutenant-colonel David Scott, fils d’un général d’aviation en retraite et diplômé de West Point.

Les ennuis de Gemini VI ne se répétèrent pas lors du vol de Gemini VIII. La fusée-cible Agena fut lancée conformément au plan. Moins de deux heures après, Armstrong et Scott s’élancèrent à sa poursuite à bord de leur vaisseau. Ils devaient localiser la cible, la rejoindre et s’y amarrer. En outre, Scott devait effectuer une sortie extra-véhiculaire de deux heures.

Tirant les leçons du rendez-vous des Gemini VI et VII, Armstrong et Scott ne mirent que cinq heures pour rattrapper la fusée Agena qui les attendait. Pendant plus d’une demi-heure, Armstrong tourna autour de la cible de huit mètres de long pour en contrôler la stabilité, puis, avec d’infinies précautions, il poussa doucement le nez de Gemini VIII dans le collier d’amarrage monté sur l’Agena. Les brides de fixations, les moteurs électriques et les connections cliquetèrent en se mettant en place, et les deux vaisseaux ne firent plus qu’un. "Vol, nous sommes amarrés", annonça Armstrong, "En douceur. Aucune oscillation à signaler. "

Aux commandes de Gemini VIII, Armstrong se rapprocha lentement de l’Agena. Après une poursuite de 170 000 kilomètres, les astronautes opérèrent la jonction avec la cible, remplie de carburant. Le nez de Gemini vint s’emboîter dans l’Agena pour entamer le premier vol couplé jamais effectué dans l’espace. Cependant, une demi-heure plus tard, au-dessus de la Chine, et hors de portée des stations de poursuite-radar, Scott remarqua que l’ensemble vaisseau-cible commençait à se comporter étrangement et déviait de sa course. Armstrong s’efforça de reprendre le contrôle. A un moment, il crût avoir repris le contrôle mais l’ensemble reprit sa folle course. Neil Armstrong : "Le problème resurgît et le rythme des culbutes augmenta au point que nous étions inquiets pour la solidité de l’ensemble. "

Les deux pilotes avaient l’impression de se trouver dans un avion qui tombait en vrille. Les secousses étaient devenues tellement violentes que les astronautes n’arrivaient plus à lire les instruments de bord. "Impossible d’arrêter ce mouvement de roulis ! ", lança Armstrong. L’équipage pensa d’abord que le problème venait de l’Agena, que l’un de ses propulseurs s’était déréglé. Craignant que les girations ne brisent la capsule, Armstrong décida alors de se détacher de l’Agena. Il réussit à réduire suffisamment la rotation pour pouvoir dégager Gemini de sa cible en toute sécurité.

Une fois les vaisseaux séparés, les astronautes constatèrent que la rotation reprit de plus belle. Le vaisseau Gemini tournoyait maintenant sur lui-même à plus d’un tour complet à la seconde. Le problème se situait bien sur la capsule : un des seize propulseurs de manoeuvre était resté bloqué en position ouverte. A moins de l’arrêter, il serait impossible de reprendre le contrôle du vaisseau et la violence des mouvements aurait tôt fait de détruire l’engin ou de faire perdre connaissance aux deux astronautes. "Il y a du roulis et nous ne pouvions rien couper" signala Armstrong.

Le directeur de vol demanda si la fusée Agena était devant ou derrière Gemini VIII. Mais les communications n’étaient pas très bonnes. Finalement, Armstrong déclara qu’il ignorait où se trouvait la fusée. Une station finit par la repérer et évalua sa position par rapport à Gemini VIII. Agena était à environ 200 kilomètres devant et au-dessous de la capsule.

Mettant de côté les consignes de vol, Armstrong décida d’utiliser les moteurs verniers avant, conçus normalement pour contrôler la rentrée. Il ferma un à un les quinze autres propulseurs de manoeuvre et alluma les moteurs de rentrée. Il parvint progressivement à reprendre le contrôle du vaisseau, espérant que les propulseurs de rentrée fonctionneraient jusqu’à ce que le propulseur bloqué ait consommé tout son carburant.

Cela prit une demi-heure, mais Armstrong finit par maîtriser Gemini VIII. Les consignes de sécurité dictaient que si les propulseurs de rentrée avaient été allumés, pour quelque raison que ce soit, les astronautes devaient revenir sur terre dès que possible. En effet, on ne pouvait risquer d’épuiser le carburant du seul système disponible pour contrôler le vaisseau au cours de la manoeuvre de rentrée.

Le centre de contrôle ordonna donc une rentrée dans une zone d’amerrissage d’urgence dans le Pacifique Ouest. Dans l’obscurité, au-dessus du Congo, les rétrofusées furent mises à feu et la capsule entama une plongée de trente-deux minutes dans l’atmosphère. La mission, prévue pour durer 71 heures s’achevait après seulement quatorze heures, à cause d’un simple court-circuit dans le système de commande d’un propulseur de manoeuvre. Mais la catastrophe avait été évitée.

" La vitesse de rotation est montée à 550° à la seconde. A cette allure, on commence à perdre connaissance ou à ne plus pouvoir réagir. Neil Armstrong s’est rendu compte qu’ils étaient dans une situation grave. Il a mis en oeuvre toute la puissance de Gemini pour essayer d’enrayer la rotation, puis il a jugé que la seule façon de se récupérer était d’activer le système de contrôle d’attitude de rentrée. Qu’un être humain placé dans cette situation ait pu redresser la barre est vraiment remarquable. Cela justifie que nous ayons des pilotes d’essais sur ces vaisseaux. Si le pilote n’avait pas été aussi bon, nous aurions sûrement perdu l’équipage. "

Le programme Gemini était riche en expériences. Un seul élément manquait encore : le vol couplé. La fusée-cible Agena avait raté son orbite à plusieurs reprises. De plus, Gemini VIII n’avait pu rester amarré à l’Agena plus de trente minutes. La NASA essaya de trouver une autre cible. Les ingénieurs conçurent alors ce qu’ils appelèrent l’Augmented Target Docking Adapter (ATDA), plus court que l’Agena. Il pourrait être utilisé en cas d’échec de l’Agena et permettre l’amarrage, la séparation des engins et leur réamarrage. C’était là une étape cruciale dans la course à la Lune. La cabine Apollo devrait effectuer plus tard sa jonction avec un petit "taxi" de l’espace qui emmènerait deux hommes d’équipage vers la Lune. Ce module, relativement léger et fragile, se poserait sur le sol lunaire et décollerait de nouveau pour rejoindre le vaisseau spatial resté en orbite. Sans cette possibilité de rendez-vous spatial et d’amarrage, et sans le talent de pilotes expérimentés, il ne pourrait y avoir de vol vers la Lune.

3-6 juin 1966
Gemini 9
Thomas Stafford / Eugene Cernan

La mission commença sur une note particulièrement triste. L’équipage prévu à l’origine pour ce vol, Elliott See et Charles Bassett, périt dans un accident d’avion quatre mois avant le vol. Tom Stafford, devenu un vrai spécialiste des rendez-vous, grâce aux vols couplés de Gemini VI et VII, et Eugene Cernan assurèrent alors le remplacement pour piloter Gemini IX.

Après le rendez-vous et l’amarrage avec la fusée Agena, Cernan devait effectuer une sortie extra-véhiculaire de deux heures trente minutes, d’abord avec un "cordon ombilical" assez court, puis avec un cable plus long et un système de manoeuvre portatif placé sur son dos. Il s’agissait là d’un plan de vol extrêmement audacieux.

Le premier échec fut celui de l’Agena. Cap Kennedy perdit tout contact avec la cible huit minutes après son lancement. Elle retomba par la suite dans l’océan. Mais, cette fois, la NASA avait un remplaçant immédiat : le nouvel ATDA. Stafford et Cernan furent placés sur orbite deux jours après le tir de la cible. Après une poursuite de 120 000 kilomètres, ils aperçurent ses signaux lumineux à quatre kilomètres. Stafford s’exclama : "Nous sommes juste en face de la Lune. L’expérience sera intéressante".

En rejoignant la cible, les astronautes virent qu’elle portait toujours la coiffe, partiellement ouverte, qui servait à la protéger lors du lancement. Stafford dit : "On dirait les mâchoires d’un alligator ! " A partir du sol, les experts s’efforcèrent de télécommander l’ouverture de l’enveloppe, mais sans succès. Ils découvrirent par la suite que les systèmes de séparation n’étaient pas fermement attachés. L’amarrage était à nouveau compromis. Les responsables du vol ordonnèrent à Stafford et Cernan d’effectuer des manoeuvres complexes de rendez-vous avec la cible, en la poursuivant sans répit. Mais ils perdirent continuellement de vue leur cible dans l’immensité de l’espace.

Cet échec démontra clairement la nécessité d’avoir un système de radar pour les rendez-vous spatiaux. Les manoeuvres entraînèrent une énorme consommation de carburant et épuisèrent les astronautes. Stafford déclara : "Nous sommes éreintés. Je me demande quand la sortie dans l’espace sera possible. Nous devrions peut-être attendre demain matin " et, prudemment, c’est ce qu’ils firent.

Le lendemain, pour sa première sortie de Gemini IX, Cernan resta attaché à un cordon de sécurité de huit mètres. Il s’attendait à ressentir la même impression de liberté qu’Edward White mais il n’y eut pas droit. Si White était sorti pour simplement flotter quelques minutes, Cernan, lui, était chargé de tâches bien précises et devait rester hors du vaisseau pendant plus de deux heures. Il put alors mesurer combien les deux missions étaient différentes.

Pour enfiler l’AMU (Astronaut Maneuvering Unit), Cernan devait se frayer un chemin jusqu’à la soute située à l’arrière de la capsule. Il se propulsa alors doucement en arrière. Il fit tout ce qu’il put pour attrapper de ses mains gantées quelque chose qui le maintiendrait sur le vaisseau. Mais il n’y avait pas de prise valable et il n’arrêtait pas de glisser le long de la coque lisse du vaisseau. Les cinq mètres qu’il avait à franchir lui demandèrent près d’une heure d’efforts épuisants.

Après un instant de repos, il entreprit d’enfiler l’AMU par-dessus sa combinaison. Mais il ne s’agissait pas seulement de passer de simples sangles. Il fallait aussi effectuer des branchements électriques et chacun de ses mouvements prenait plus de temps que prévu. Très vite, il sollicita à l’excès son système d’alimentation en oxygène et de régulation de l’humidité. Il transpirait et la buée s’accumulait à l’intérieur de la visière de son scaphandre. Stafford appela le contrôle de mission : "Nous avons des problèmes. Gene est dans la buée jusqu’au cou."

" Ce fut une grande aventure et une démonstration des vieilles lois de Newton : F = m.g. Pour chaque action, il y a une réaction opposée, de même force. Quand on pousse l’engin spatial, il vous repousse. Quand quelqu’un vous tire, alors que vous êtes retenu par un "cordon ombilical", s’il ne vous tire pas au centre de votre masse, vous vous mettez à tournoyer dans toutes les directions. Ainsi, lorsque je tournais une valve à l’extérieur de la capsule, la valve tournait dans l’autre sens et mon corps, comme si j’étais dans l’eau, commençait à se déplacer dans la direction opposée. Je finissais par générer beaucoup de chaleur et d’humidité à l’intérieur de ma combinaison. Ce qui avait pour effet de l’embuer. Je me déplaçais à l’extérieur du vaisseau spatial qui orbitait autour de la terre à une vitesse dépassant 27.000 km/h. Cela ressemble à la conduite sur autoroute avec une visibilité nulle. Je ne voyais littéralement rien au travers de mon casque qui était complètement embué. "

Ses pulsations cardiaques atteignirent bientôt 180 battements à la minute. Stafford en informa bientôt le Contrôle de Mission : "Le travail est quatre ou cinq fois plus dur que nous ne l’avions supposé. La visière de Gene est complètement embuée. Les communications sont difficiles : on entend un gargouillement. Si la situation ne s’améliore pas, inutile de continuer ! " Le Contrôle de Mission se rallia à son avis et la décision fut rapidement prise d’interrompre la sortie.

Tout en s’excusant, Cernan effectua prudemment son retour, une main après l’autre, dérapant, avançant péniblement. Une fois réinstallé dans la capsule, il fallut un certain temps avant que les battements de son coeur ne reviennent à la normale. Le troisième homme à sortir dans l’espace avait passé le temps record de deux heures neuf minutes à l’extérieur de son vaisseau, cent-vingt-neuf minutes extrêmement éprouvantes.

Cet exploit montra aux responsables du vol qu’il faudrait déployer encore beaucoup d’efforts au sol avant que l’homme soit capable de travailler et de se déplacer dans l’espace. Le médecin-chef, "Chuck" Berry, résuma la perplexité générale :

" Une chose nous déconcertait tout particulièrement : nous avions l’impression qu’il était plus facile de travailler en état d’apesanteur. Or, tous les astronautes s’accordaient pour dire qu’il fallait plus d’efforts et de temps dans l’espace qu’au sol. "

Grâce à son ordinateur de bord, Gemini IX effectua cependant le meilleur amerrissage de tout le programme en touchant l’océan à moins de 2,5 kilomètres de l’objectif fixé.

Gemini IX avait permis de réaliser des progrès qui allaient être utiles pour la mission Gemini X. En juillet, John Young et Michael Collins s’élancèrent de Cap Kennedy pour effectuer deux rendez-vous : l’un avec une fusée Agena lancée spécialement pour la mission, l’autre avec la vieille Agena abandonnée par Gemini VIII et toujours sur orbite. Il était en outre prévu que Michael Collins effectuerait deux sorties de 55 minutes et que le vaisseau utiliserait les propulseurs de l’Agena pour battre le record d’altitude. Tout cela en seulement trois jours !

18-21 juillet 1966
Gemini 10
John Young / Michaël Collins

La fusée Agena fut mise sur orbite, suivie, cent minutes plus tard, par Gemini X. L’amarrage entre les deux engins se fit lors de la quatrième révolution. L’opération nécessita les deux tiers du carburant destiné aux manoeuvres, au lieu d’un tiers comme prévu. Heureusement, Gemini X allait pouvoir bénéficier à présent de la puissance et des réserves de l’Agena. Les astronautes coupèrent alors les propulseurs de Gemini et utilisèrent le système de contrôle de l’Agena pour propulser l’assemblage. Pour la première fois, un vaisseau utilisait les ressources captives d’une cible pour se propulser à une altitude supérieure.

Collins fit ensuite sa première sortie extra-véhiculaire, en se tenant simplement debout à l’écoutille pour photographier différents objectifs. Il dut cependant écourter cette mission à cause d’une irritation des yeux provoquée par la présence d’hydroxyde de lithium dans le système d’oxygène de sa combinaison spatiale. Une petite quantité d’hydroxyde de lithium, utilisé pour filtrer le dioxyde de carbone, s’était répandue, dégageant une odeur âcre et faisant pleurer les yeux.

La situation redevint normale lorsque Collins et Young respirèrent de nouveau l’oxygène de la cabine. Après cela, ils ne connûrent plus aucun ennui. Utilisant les propulseurs de l’Agena, l’ensemble prit en chasse la fusée-cible de Gemini VIII, restée sur orbite pendant quatre mois. Faisant du surplace ou volant en formation avec la vieille Agena, Young se libéra de sa propre cible et la laissa voler à quelque distance. "Nous avons abandonné l’Agena au coucher du soleil, annonça-t-il. Le vol couplé s’est déroulé magnifiquement. "

Collins fit alors sa deuxième excursion dans l’espace, sortant complètement de la capsule et se déplaçant vers la vieille Agena.

" Quand j’arrivais en vue de l’engin, je glissais et me mis à dériver, à tournoyer dans l’espace. Je n’étais pas certain de savoir où la terre se trouvait, de même que Gemini et l’Agena. L’espace de quelques instants, je ressentis un très fort sentiment d’excitation. Jusqu’à ce que, finalement, je reprenne les affaires en main et je retournais au Gemini pour essayer une seconde fois. A ma deuxième tentative, je flottais déjà un peu mieux... "

Une fois arrivé sur l’Agena, il récupéra sur la paroi de la fusée, non sans difficulté, un paquet expérimental destiné à mesurer la quantité de déchets météoritiques rencontrés au cours des révolutions autour de la terre. Malheureusement, l’astronaute ne put prendre aucune photographies de son exploit : dans l’excitation, sa camera Hasselblad lui avait échappé des mains et dérivait dans l’espace...

" L’absence de prises était un gros obstacle. Je pouvais me tenir sur l’Agena, mais je ne pouvais me rendre de l’autre côté, où je voulais aller. C’était vraiment un problème. La vue était réellement spectaculaire, après un jour ou deux passer à regarder dehors par une fenêtre très étroite. Tout d’un coup, vous vous retrouvez effectivement au centre de l’univers. Vous apercevez la terre, le ciel noir, l’Agena, Gemini et vous avez vraiment l’impression d’être dans l’espace. "

Collins dût regagner Gemini X quinze minutes plus tôt que prévu, car le vol couplé entraînait une trop forte consommation de carburant. Une fois rentré, il décrocha le "cordon ombilical" de 15 mètres qui l’avait alimenté en oxygène et jeta par-dessus bord une douzaine d’objets devenus inutiles. Le vol fut un véritable succès. Il permit d’améliorer notablement les techniques de rendez-vous et d’amarrage, tout en soulignant les problèmes propres à l’évolution des astronautes dans l’espace et, notamment, la difficulté de maintenir le corps dans une certaine position sans points d’attache ou de traction.

Le lancement de Gemini XI fut fixé au moins de septembre. L’équipage se composait de Charles Conrad, qui avait volé en compagnie de Cooper à bord de Gemini V, et de Richard Gordon, dont c’était la première mission. Gordon devait battre deux records de "marche" dans l’espace, en se déplaçant entre deux engins spatiaux.

12-15 septembre 1966
Gemini 11
Charles Conrad / Richard Gordon

Conrad et Gordon furent mis sur orbite le 12 septembre, à la poursuite d’une fusée Agena lancée auparavant. Ils devaient la rejoindre et s’y accrocher dès la première orbite, manoeuvre la plus rapide jamais effectuée à ce jour. Dès le début de la poursuite, les pulsations cardiaques des deux pilotes firent plus que doubler. S’aidant de leur radar d’approche, ils repérèrent leur objectif à 110 kilomètres. Ils s’en approchèrent et effectuèrent la jonction. Il ne s’agissait pas là d’une simple performance technique mais d’une véritable répétition de la manoeuvre que les astronautes, quittant la Lune à bord du module lunaire, devraient effectuer pour rejoindre le module de commande en orbite. Conrad et Gordon repétèrent encore la manoeuvre puis volèrent en formation avec l’Agena, avant de s’amarrer de nouveau pour la nuit.

Le lendemain, Gordon effectua sa première sortie extra-véhiculaire. Il devait rester 115 minutes dans l’espace, au bout d’un "cordon ombilical" de quinze mètres. Mais il ne parvint pas à le dérouler : l’effort était trop épuisant. Finalement, aveuglé par la sueur, il dut regagner la capsule après seulement 44 minutes. Lors de sa deuxième sortie, conscient de la difficulté qu’il y a à se déplacer dans les conditions d’apesanteur, Gordon s’assit à califourchon sur le "train" spatial formé par Gemini et Agena. Il déroula alors un cable de 30 mètres et en fixa les extrémités aux deux engins. L’expérience devait permettre de laisser les deux vaisseaux en remorque pour tenter d’économiser le carburant.

Au préalable, l’équipage utilisa les propulseurs de l’Agena pour gagner l’altitude record de 1367 kilomètres, découvrant un spectacle qu’aucun être humain n’avait contemplé auparavant. "Nous sommes au sommet de l’univers ! s’exclama Conrad. C’est un spectacle inimaginable... La terre est ronde ! " Plus tard, Conrad sortit à moitié de la capsule et passa plus de deux heures à prendre des photos des étoiles et d’autres objets déterminés.

L’opération suivante consista à éloigner les deux engins spatiaux toujours reliés par cable. "C’est extraordinaire, déclara Conrad, c’est comme s’il y avait une corde à sauter entre nous et l’Agena. Elle tourne et décrit une grand boucle". Petit à petit, le cable finit par se tendre. La mise en rotation partiellement réussie de l’ensemble permit de créer la première "gravité artificielle". Utilisant ensuite un dispositif pyrotechnique, l’équipage sépara ensuite le cable du nez de la cabine Gemini. Le lendemain, la mission accomplie, l’équipage amerrit à trois kilomètres du navire de récupération.

Le problème du travail dans l’espace n’était toujours pas résolu. Gordon n’avait pas été en mesure d’utiliser les instruments et les mains courantes placées sur Gemini XI. La combinaison spatiale était pénible à porter avec ses 21 couches superposées. Gordon était tellement fatigué qu’il avait transpiré trois fois plus que prévu. La fixation du cable à la fusée (un travail de trente secondes en principe) avait pris trente minutes. Gordon avait eu également du mal à se tenir à califourchon sur le vaisseau et la fusée. Il déclara à plusieurs reprises qu’il se sentait glisser ou plutôt "flotter" en bas de son étrange monture.

La mission Gemini XII, dernier vol du programme spatial américain avant le programme Apollo, devait achever de démontrer ce qui était resté en suspens au cours des vols précédents, à savoir qu’il était possible pour l’homme de travailler efficacement en dehors de l’environnement protégé du vaisseau spatial.

Pour ce faire, elle fut confiée au vétéran, Jim Lovell et au futur explorateur lunaire, Edwin "Buzz" Aldrin. James Lovell avait déjà participé au vol-marathon de Gemini VII et possédait une grande expérience en tant que pilote d’essai. Vétéran de la guerre de Corée, Aldrin, lui, était un nouveau-venu dans le programme spatial. Troisième de sa promotion à West Point, il avait obtenu son doctorat en 1963, au Massachussetts Institute of Technology, en rédigeant une thèse sur les rendez-vous spatiaux.

11-15 novembre 1966
Gemini 12
James Lovell / Edwin Aldrin

Quelques heures après le lancement, le 11 novembre 1966, Lovell et Aldrin rejoignirent une fusée Agena après une poursuite de plus de 100 000 kilomètres. Ils s’y amarrèrent mais, en raison d’une défaillance de leur système de propulsion, ils durent renoncer à utiliser l’Agena pour gagner une orbite plus élevée. Cependant, ils purent utiliser un plus petit propulseur sur l’Agena pour pallier les ennuis de leur système de commande.

Ils photographièrent la Lune alors qu’ils survolaient l’Amerique du Sud, et ils filmèrent une éclipse de soleil. Pendant trois journées successives, Aldrin effectua un programme de sorties extra-véhiculaires, s’appuyant sur les expériences de ses prédécesseurs pour aborder tous les problèmes avec une profondeur et une finesse d’esprit incroyables. Il emportait avec lui toute une gamme d’équipements nouveaux, notamment un cordon de poignet, un autre conçu comme ceux qu’utilisent les laveurs de carreaux pour éviter de tomber, des "sabots" spéciaux pouvant être chevillés sur une station de travail située à l’arrière du vaisseau, et surtout des prises portables qui pouvait être appliquées sur n’importe quelle surface de Gemini ou de l’Agena.

Le premier jour il ne fit que sortir sa tête et ses épaules de la capsule pour prendre des photographies des étoiles et de la terre. Ses pulsations cardiaques et sa respiration restèrent presque normales.La sortie dura deux heures et quinze minutes. La deuxième fut plus "complète" et dura deux heures et neuf minutes.

Aldrin se montra tellement dans son élément qu’il semblait plus se promener tranquillement qu’en butte aux problèmes qui avaient découragé, mis en danger et fait enrager trois astronautes avant lui. Il avança le long du nez de Gemini jusqu’à l’Agena, progressant sans effort apparent le long d’une main courante de deux mètres qu’il avait mise en place et fixée au préalable. Puis il attacha un cable de 30 mètres reliant l’Agena à Gemini.

Lorsqu’il parvint à la station de travail à l’arrière de Gemini, il chevilla ses "sabots" et s’assura au vaisseau au moyen du cordon fixé à sa ceinture. Aldrin s’acquitta alors de nombreuses tâches destinées à évaluer sa dextérité dans l’espace : il accrocha des crochets à des anneaux, déplaça et fixa différents matériels, utilisa une "clé spatiale", unique en son genre, pour désserrer et resserrer des boulons et des rondelles. A un moment, un boulon et une rondelle lui échappèrent. Il n’eut qu’à étendre lentement le bras pour les récupérer. Il coupa aussi des cables électriques, les rebrancha et raccorda divers tuyaux flexibles. Tout en se déplaçant autour de la capsule, Aldrin garda le contact avec Lovell, qui dût parfois le mettre en garde : "Attention ! Tu secoues toute la cabine." Tout se déroula tellement bien qu’il resta à l’extérieur 13 minutes de plus que prévu.

La troisième sortie fut semblable à la première. Aldrin photographia le lever du soleil et la voie lactée pendant 52 minutes. Durant les trois jours que dura le vol, il passa ainsi cinq heures et demie dans le vide spatial et prouva ainsi clairement que l’homme serait capable de marcher et de travailler sur la lune, vêtu d’une combinaison lourde.

Les réacteurs de manoeuvres de Gemini XII s’arrêtèrent ensuite les uns après les autres et la dernière journée fut passée en vol libre, afin d’économiser le carburant et de s’assurer que tout irait bien lors de la manoeuvre de retour. La cabine amerrit le lendemain dans l’Atlantique, à proximité du navire de récupération. La liesse atteignit son comble au Contrôle de Mission.

" Gemini a joué un rôle-clé dans le programme spatial. Gemini XII marque l’aboutissement de dix vols habités. Nous avons fait de notre mieux pour préparer Apollo... "